3. Ivre de colère
Aucun mortel, fût-il un grand sorcier, ne pouvait anéantir l’empereur des Tanieths. Ce dernier s’était donc longtemps senti invincible. Il venait de recevoir une amère leçon sur Enkidiev : certains humains possédaient suffisamment de pouvoir pour lui infliger de terribles douleurs. Attaqué par un ancien soldat d’Émeraude et par une panthère ensorcelée, Amecareth s’était écroulé de faiblesse. Heureusement, son dragon veillait. Stellan l’avait prestement débarrassé des deux attaquants, mais il n’était pas revenu vers lui. En fait, un troisième gêneur le lui avait ravi.
Pour retourner dans son pays, le seigneur noir avait dû faire appel aux Midjins. Ces derniers élevaient des dragons mâles pour en faire de terribles machines de guerre. Cependant, ces bêtes volantes étaient rares et leur dressage était long et périlleux. Amecareth ne leur avait pas donné le choix, puisque sans dragon, il n’aurait jamais pu rentrer chez lui. Les Midjins avaient dû lui envoyer le seul animal adulte qui leur restait, les deux autres n’étant que des adolescents plutôt indisciplinés.
Rouge comme les braises de la tête au bout de la queue, Pyros était une terrifiante créature. Comme on le lui avait ordonné, il avait foncé au-dessus de l’océan et avait survolé les forêts côtières jusqu’à ce qu’il perçoive l’énergie du maître qu’on avait imprimée dans son esprit juste avant son départ. Il s’était posé devant Amecareth, les ailes déployées, mais sans pousser le cri strident si caractéristique de ces prédateurs lorsqu’ils touchaient le sol. Amecareth avait grimpé sur son cou avec beaucoup de difficulté et l’avait sommé, par télépathie, de le ramener à son palais.
Pyros avait déposé son passager sur le plus haut balcon de la ruche et avait reçu pour ses services une ration de viande sanglante qu’il avait goulûment avalée. Puisque la collectivité des insectes était reliée par l’esprit, tous les habitants d’Irianeth savaient ce qui était arrivé à leur empereur. Le sachant blessé, les femmes d’Amecareth avaient fait cueillir des algues par leurs esclaves, puis les avaient laissées tremper dans un curieux liquide nauséabond, au milieu de l’alvéole du maître. Elles se doutaient bien que leur époux serait d’une humeur massacrante et que la moindre maladresse de leur part pourrait leur coûter la vie. Deux d’entre elles seulement étaient restées dans la chambre royale, attendant en tremblant le retour de l’empereur.
Lorsque ce dernier émergea en grondant de colère de l’ouverture qui donnait sur le balcon, les femelles s’inclinèrent jusqu’au sol. Seul Sage ne bougea pas. Il était assis sur un amas de peaux, son petit dragon dans les bras. La vue de son grand-père dégoulinant de sang noir le paralysait.
— Allez-vous-en ! hurla Amecareth.
Ses épouses ne demandèrent pas leur reste et se bousculèrent jusqu’au corridor. Sage n’avait toujours pas remué. L’empereur s’approcha de la marmite où macérait le varech et tenta de s’en saisir du bout des griffes. Les plantes aquatiques lui échappèrent les unes après les autres.
— Laissez-moi vous aider, monseigneur, offrit Sage en déposant Aubèrone sur le sol.
Sage plongea la main dans le récipient et parvint à s’emparer d’une algue visqueuse.
— Je vous en prie, prenez place sur le trône.
Amecareth lui obéit en maugréant contre les humains. Avec prudence, son petit-fils enroula d’abord le pansement naturel autour de son poignet pour arrêter l’hémorragie.
— C’est un endroit étrange pour une blessure, remarqua-t-il.
— Les crocs de la panthère se sont enfoncés partout où ma chair n’est pas protégée par ma carapace.
— Cette bête était bien téméraire.
Sage ne savait plus à quoi pouvait ressembler une panthère. Son imagination forma donc dans son esprit l’image d’un monstre avec de très longues dents, aussi imposant que son grand-père.
— Elle est venue au secours d’un humain que j’ai autrefois fait prisonnier.
— Pourtant, ceux que vous détenez ici ne s’échappent jamais, s’étonna Sage.
— C’est Ucteth qui l’a voulu ainsi. Il l’avait emmené ici pour lui donner une leçon et pour en faire notre esclave, mais cet homme est d’une étonnante résistance.
Sage alla chercher une autre plante afin de poursuivre son traitement.
— A-t-il eu le temps de repérer vos faiblesses durant son séjour au palais ? demanda-t-il.
— Je n’ai aucune faiblesse ! tonna l’empereur.
Aubèrone courut s’enfouir la tête sous les peaux de bêtes, mais son jeune maître n’était nullement impressionné par les sautes d’humeur d’Amecareth.
— Ce n’est pas ce que je voulais dire, assura l’hybride.
Il enveloppa le coude du Tanieth, lui apportant un grand réconfort.
— Je vous connais maintenant assez bien pour affirmer que vous êtes sensible à certaines qualités chez vos sujets. Lorsque vous vous attendrissez, vous abaissez parfois votre garde.
— Tu l’as observé toi-même ?
— Oui, chaque fois que nous parlons de Narvath. Peut-être avez-vous affiché un instant de fragilité devant cet humain insolent et qu’il met maintenant à profit ce qu’il a découvert.
— Tu commences à parler comme un empereur, toi.
Sage se mit à panser l’autre bras. Rassuré par le ton plus doux du souverain, Aubèrone sortit de sa cachette et s’approcha pour voir de plus près ce que faisait son maître.
— Ce n’est pas mon souhait de prendre votre place, se défendit le petit-fils.
— Pourtant, c’est à toi qu’elle pourrait bien revenir si je ne trouve pas Narvath. Une de mes filles dégénérées m’a dit qu’elle avait été emprisonnée dans le passé par un dieu déchu. Mais je ne vois pas comment cela pourrait être possible. Personne ne peut retourner en arrière, pas même Listmeth.
Où Sage avait-il entendu parler de ce dieu déchu ? Il appliqua la plante sur la plaie en tentant désespérément de s’en souvenir.
— On dirait que tu n’es pas d’accord avec ce que j’avance, observa Amecareth.
— J’essaie de me rappeler de ce que je savais autrefois à ce sujet.
Aubèrone planta ses dents dans le bout d’algue qui pendait du trône et voulut l’emporter vers son lit, en oubliant que sa plus grande partie était enroulée autour du bras de l’empereur. Soumise à une soudaine tension, la longue plante se raidit, arrêtant brusquement la course du petit dragon. Le varech se déchira d’un seul coup, faisant culbuter Aubèrone, qui roula plusieurs fois sur lui-même avant de s’arrêter sur le ventre. Sage éclata de rire. Même si Amecareth ne saisissait pas le comique de la situation, la joie de vivre de son petit-fils acheva de le calmer.
— Les dieux ne sont-ils pas des créatures qui ont des pouvoirs étendus ? lui demanda Sage.
— C’est ce que nous a enseigné Listmeth, mais il n’a jamais parlé de défier le temps.
— Et si c’était vrai ? Comment pourrions-nous venir en aide à Narvath ?
— Nous n’avons rien à faire, croassa une voix qui donna la chair de poule à Sage.
Le sorcier Asbeth arrivait par derrière le trône. Il avait dû lui aussi se poser sur le balcon de l’alvéole royale. Akuretari ayant été défait, le corbeau géant était revenu penaud vers son premier maître.
— A moins que tu saches comment sortir Narvath de ce mauvais pas, je te conseille de partir, sorcier, gronda Amecareth.
— Je n’ai offert mes services à ce dieu déchu que pour mieux vous être utile, monseigneur.
Sage s’était immobilisé, ses yeux pâles rivés sur cette fourbe créature.
— Qu’as-tu appris ?
— Akuretari n’était pas qu’un vulgaire dieu. Il faisait partie des trois divinités qui règnent sur le monde.
— Possédait-il tous les pouvoirs ?
— Rien ne lui était impossible, mais il a été trahi par les deux autres membres de la triade.
— Êtes-vous bien sûr qu’il vous dit la vérité ? s’interposa alors Sage.
— Pourquoi mentirais-je à mon maître ?
— Parce que c’est ce que vous faites le mieux.
— Vous n’allez pas recommencer à vous injurier, s’impatienta Amecareth. Faites plutôt un effort pour élaborer ensemble un plan de sauvetage.
— Asbeth n’a jamais eu l’intention de vous ramener votre fille vivante ! fulmina Sage.
— Laisse-le parler, mon petit.
Furieux, l’hybride alla s’asseoir sur ses peaux, refusant de panser les plaies de son grand-père tant que le sorcier à plumes serait dans la même pièce que lui.
— Dis-moi tout, Asbeth, ordonna l’empereur.
Sage leva les yeux au ciel, découragé par la naïveté d’Amecareth.
— Akuretari ne m’a jamais parlé de votre fille, monseigneur, mais il aurait certainement été en son pouvoir de l’emprisonner dans le lieu de son choix.
— Même dans le passé ?
— Même là. Mais si vous voulez mon avis, la femme qui vous a renseigné vous a trompé. Rappelez-vous ce qu’ils ont fait au petit garçon que vous vouliez reprendre, jadis.
Le roi d’une des contrées d’Enkidiev avait en effet immolé cet enfant devant son armée pour tenter de mettre fin à l’invasion des Tanieths…
— Je suis sûr qu’ils ont également tué votre fille, ajouta Asbeth, conscient qu’il enfonçait un pieu acéré dans le cœur du seigneur noir.
— C’est un odieux mensonge ! s’agita Sage.
— L’un de vous deux entend-il les pensées de Narvath ?
Amecareth avait essayé des centaines de fois de reprendre contact avec la jeune femme mauve, sans succès.
— Lorsque les membres de cette communauté rendent l’âme, nous faisons toujours face à un affreux silence, insinua le sorcier.
Sage bondit comme un fauve et attaqua le corbeau. Ce dernier poussa un cri rauque et chargea ses ailes d’énergie bleuâtre. Aubèrone délaissa tout de suite le morceau d’algue qu’il mâchouillait depuis quelques minutes et se précipita à la rescousse de son maître. Il enfonça ses dents pointues dans la main griffue d’Asbeth et reçut une cuisante décharge sur le museau. Enragé, le petit dragon sauta à nouveau dans les plumes noires, les arrachant avec une ardeur furieuse.
Soudain, les antagonistes furent agrippés par le cou et soulevés de terre par les bras puissants de l’empereur. Aubèrone s’écrasa sur le plancher, la gueule pleine de duvet.
— C’est assez ! rugit Amecareth.
Ni Sage, ni Asbeth ne pouvaient protester, puisqu’il était en train de les étouffer. L’empereur laissa tomber son sorcier près de son trône et alla asseoir son petit-fils sur sa couche.
— Le premier qui attaque l’autre le regrettera amèrement, les avertit-il.
Voyant que l’hybride avait du mal à respirer, Aubèrone cracha violemment et galopa jusqu’à lui pour lui lécher le visage.
— Que Narvath ait été emprisonnée dans un autre temps ou qu’elle ait été tuée, le résultat est le même : je suis privé de la joie de l’avoir près de moi, laissa tomber Amecareth. Il est temps que ces impudents humains paient pour leurs crimes. Cette fois, je lance l’assaut final.
L’empereur tourna les talons et se rendit sur son balcon, qui surplombait l’océan. Dans le ciel, son nouveau dragon effectuait de grands cercles en happant au passage tous les oiseaux marins qui avaient le malheur de croiser son chemin.
— Que tous m’entendent ! aboya Amecareth. J’ordonne à tous mes sujets capables de se battre de prendre les armes et de converger sur le continent des humains. Ceux qui n’obéiront pas à cet ordre seront suppliciés sur l’autel de Listmeth !
La nuit était enfin tombée. Kevin s’était retiré dans l’écurie à peine éclairée du Château de Zénor pour brosser Virgith, avant d’aller marcher sur la plage et ainsi libérer ses yeux du bandeau qu’il portait toute la journée. Le cheval-dragon gazouillait comme un oiseau pour lui indiquer son contentement. Après que Kevin eut perdu ses facultés magiques sur Irianeth, cet animal était devenu son meilleur ami. Au lieu de le fuir comme les autres bêtes, Virgith lui prodiguait beaucoup d’affection et de réconfort. Avec le temps, l’homme et sa monture avaient appris à communiquer non seulement ce qu’ils voyaient ou ce qu’ils entendaient, mais aussi ce qu’ils ressentaient.
Kevin n’était plus relié à ses compagnons d’armes par ses pensées et, fort heureusement, il n’entendait plus la cacophonie des cliquetis et des sifflements télépathiques en provenance de l’empire. Les facultés magiques qu’il avait appris à maîtriser durant ses longues années d’étude avaient aussi disparu. Cependant, il ne cessait de découvrir d’étranges nouveaux pouvoirs en lui. Sa vision nocturne lui permettait de percevoir les objets qui se mouvaient dans le noir. Son odorat s’était également amélioré. Ses oreilles entendaient le moindre petit bruit, parfois à des lieues de l’endroit où il se trouvait. Il était également capable d’interpréter la langue des Tanieths.
Depuis peu, lorsqu’il s’isolait, le soir, il lui arrivait de voir apparaître une curieuse lueur bleue autour de ses doigts armés de griffes. Plus les jours passaient, plus elle devenait brillante. Kevin se rappela que l’énergie utilisée par les sorciers était presque toujours de cette couleur. Était-il encore en train de se transformer ? « Pourvu qu’il ne me pousse pas de plumes… », songea-t-il.
Soudain, Virgith releva l’encolure et se mit à pousser des plaintes stridentes, Kevin posa aussitôt les mains sur son front.
— Doucement, mon ami.
Il capta avec horreur le message télépathique que venait d’intercepter l’animal. J’ordonne à tous mes sujets capables de se battre de prendre les armes et de converger sur le continent des humains. Ceux qui n’obéiront pas à cet ordre seront suppliciés sur l’autel de Listmeth !
— Est-ce la voix de l’empereur ?
Virgith le confirma en secouant sa longue crinière.
— Je dois aller prévenir mon commandant. Reste ici.
Le Chevalier sortit de l’écurie en courant, traversa la cour du château et se précipita dans le palais. Il s’arrêta brusquement au seuil du grand hall où ses camarades s’installaient pour la nuit, mais n’y vit pas Hadrian. Privé des sens magiques qui lui auraient permis de scruter l’immense demeure, il se vit obligé de parcourir tous les corridors et de regarder dans chaque pièce. Il trouva finalement l’ancien Roi d’Argent en compagnie d’Onyx sur la terrasse. Ils observaient les reflets de la lune dans l’eau, une coupe de vin à la main.
— Qu’y a-t-il, Kevin ? s’alarma Hadrian en voyant son visage couvert de sueur.
— Virgith a entendu Amecareth proférer un nouvel ordre à ses troupes.
— Qui est Virgith ? voulut savoir Onyx.
— C’est mon cheval-dragon.
— As-tu pu interpréter ce message ? demanda Hadrian, fort inquiet.
— L’empereur lance tout ce qu’il a de combattants contre nous. Il faut faire quelque chose.
— Et c’est ton cheval qui t’a dit cela ? fit Onyx, incrédule.
— Virgith n’est pas un destrier comme le vôtre. Une partie de lui vient d’ailleurs et cet ailleurs est apparemment branché à l’empire. Il a seulement entendu ce commandement lancé à la collectivité. J’ai perdu mes facultés de Chevalier d’Émeraude, mais je comprends la langue des Tanieths.
— Les récifs arrêteront toute attaque en provenance de l’océan, raisonna tout haut Hadrian.
— Je ne suis pas encore assez ivre pour fonder notre nouvelle stratégie de combat sur les paroles d’un animal, tout de même, protesta son ancien lieutenant.
— Merci, Kevin, je m’occupe du roi, conclut Hadrian avec un clin d’œil.
Le Chevalier s’inclina respectueusement et quitta prestement le balcon pour aller avertir Falcon et les autres membres de son groupe.
— Tu as encore trop bu, soupira l’ancien souverain d’Argent en voyant le sourire béat d’Onyx.
— C’était seulement pour engourdir mon mal.
— Ou ton esprit ?
— Arrête de me faire la morale. C’est moi le roi, maintenant.
— Les dirigeants d’Enkidiev ne sont pas libres de faire tout ce qui leur chante, Onyx.
Le renégat avala tout le contenu de sa coupe.
— Je viens de te demander de ne pas me faire de sermon.
— Un conseil, alors ?
— Tu vas trouver la façon d’en faire une admonestation.
— Je veux seulement te recommander d’aller te coucher. La bataille a été longue et épuisante, et tu as été blessé. Va donc te reposer.
— Si tu n’écoutes jamais ta femme, écoute au moins ton ami, déclara Swan en surgissant près d’eux. Hadrian dit vrai : ce soir, tu ne bois pas pour les bonnes raisons.
Elle l’empêcha de s’emparer de la cruche qui reposait sur le parapet, lui agrippa solidement le bras et le tira vers la porte.
— Merci d’avoir gardé l’œil sur lui, Hadrian.
— Il semble que ce soit mon lot, plaisanta l’ancien roi.
— Il ne me surveillait pas, ronchonna Onyx en pénétrant dans le palais.
Il continua de tempêter dans le couloir, ce qui fit sourire son vieil ami. Hadrian termina sa coupe sans se presser. Il ne put s’empêcher de penser aux renforts que l’empereur dépêchait sur le continent. De combien d’effectifs disposait-il ? Les récifs stopperaient certainement une armada, mais que se passerait-il si ces nouveaux combattants arrivaient par les airs ?
Incapable de trouver le sommeil, Hadrian descendit dans la cour. Il pouvait entendre les chevaux renâcler et hennir doucement dans l’écurie. Il se rendit à la stalle où il avait laissé Staya, même si elle lui avait clairement manifesté son désir de combattre. La jument blanche passa la tête par-dessus la porte pour appuyer ses naseaux dans le cou de son ami.
— Comment vas-tu, Staya ? J’imagine que tu as envie de te délier les jambes.
Il l’emmena dehors, où elle galopa en rond pendant plusieurs minutes dans la lumière argentée de la lune. Puis, inexplicablement, la jument s’arrêta net et leva la tête vers le ciel. Hadrian sonda à son tour la région. Staya avait raison : une créature surnaturelle approchait par le sud.
— De qui s’agit-il ? demanda-t-il à l’animal.
Staya poussa des cris de joie. Elle connaissait donc leur visiteur.
— C’est un de tes amis, n’est-ce pas ?
La jument-dragon se mit à sautiller sur place avec enthousiasme. Lorsque le cheval ailé descendit dans la cour, Staya se hâta à sa rencontre et lui donna de petits coups de museaux sur l’encolure tandis que son cavalier mettait pied à terre. Hawke avait senti la présence de l’ancien souverain bien avant de débarquer à Zénor. Il marcha directement vers lui, laissant les deux destriers à leurs jeux. Hadrian vit étinceler les émeraudes de sa cuirasse sous les rayons de l’astre du soir.
— Bonsoir, sire, le salua l’Elfe.
— Si vous avez l’intention de porter cette armure, vous devrez m’appeler par mon nom.
— Mais vous êtes un personnage de légende.
— C’était dans une autre vie. Dans celle-ci, je suis un soldat comme les autres.
— C’est vous qui dirigez toute l’armée.
— Parce que Wellan n’est plus en mesure de le faire. C’est mon devoir de prendre sa place.
Les deux hommes s’assirent sur la margelle du puits.
— Je suis venu vous épauler, annonça l’Elfe. Quand l’ennemi sera-t-il ici ?
— Je crains que vous n’ayez manqué cette bataille. Les soldats impériaux sont revenus du Désert au début de la journée et ils nous ont rudement mis à l’épreuve. Un Chevalier et quatre Écuyers ont perdu la vie.
— Que les dieux leur ouvrent sans délai les portes des grandes plaines de lumière…
— Plusieurs des nôtres ont été blessés, dont le roi. Nous n’avons pas cessé de les soigner depuis.
— J’aurais dû arriver plus tôt.
— Personne ne vous le reprochera, Hawke. De toute façon, nous aurons bientôt d’autres ennemis à combattre. Mais dites-moi, que se passe-t-il à Émeraude ?
— Les larves continuent de progresser vers la Montagne de Cristal et nos alliés n’arrivent pas à les exterminer.
— Des scarabées ont également réussi à percer nos défenses et il semble qu’ils se dirigent au même endroit. C’est à n’y rien comprendre.
L’ancien roi poussa un soupir de découragement.
— Il est tard, fit-il remarquer. Que diriez-vous de mettre ces enfants au lit ?
Il parlait évidemment des deux chevaux-dragons qui se poursuivaient gaiement dans la grande cour. Hadrian se leva et Hawke l’imita.
— Attendez, le pria l’Elfe, Une question me trotte dans la tête depuis que nous avons empêché Onyx de réclamer les âmes des mages Sholiens.
— Comme c’est étrange, j’en ai une aussi. Posez la vôtre en premier.
— Ce jour-là, vous étiez étonné que les dirigeants d’Enkidiev nous aient laissés dans l’ignorance des couloirs et des chambres de rituel creusés sous le château. Ils étaient donc connus, à votre époque ?
— Les rois et les magiciens s’en servaient régulièrement en effet, affirma Hadrian.
— Mais ces derniers ont disparu les uns après les autres…
— J’imagine que, privés de la science des mages, les souverains n’ont plus su comment les utiliser.
Hawke demeura silencieux quelques secondes.
— Quelle est votre interrogation ? dit-il finalement.
— Qu’avez-vous vu dans la pierre des Sholiens ?
— Une femme aux cheveux immaculés qui semblait me voir, comme si elle s’était tenue de l’autre côté d’un mur de cristal. Elle s’est même adressée à moi. Elle m’a dit que je deviendrais un guerrier magicien, comme mes camarades de classe, et que mon rôle serait de faire pencher la balance de notre côté.
— C’est très encourageant.
— Elle ne m’a malheureusement pas donné tous les détails de mon avenir…
Ils rappelèrent leurs bêtes, qui arrivèrent au galop, et les installèrent dans l’écurie où elles seraient protégées du vent.